Une nouvelle occasion de s’interroger sur l’usage de la recherche en France : les mésaventures de Sanofi

Sanofi a décidé d’arrêter son projet le plus avancé de vaccin contre la COVID-19 : il n’était pas assez efficace. L’événement a fait quelque bruit en France ; c’est un raté qui fait tache, et il a donné lieu à quelques hyperboles dans la presse. L’évocation de la France « pays de Pasteur » est répété comme un cliché, comme si un événement vieux de plus de cent ans devait mécaniquement continuer à porter du fruit, dans un contexte international bien différent de l’époque.
Le premier commentaire qui s’impose, est qu’il faut quand même ramener cela à de justes proportions : c’est en partie la faute à « pas de chance ». C’est le propre de la recherche de tenter, au risque d’échouer. Sanofi a suivi une piste qui s’est terminée dans une impasse. Il n’est pas le seul.
Autre commentaire : les Français semblent toujours tomber des nues quand ils découvrent qu’ils ne sont pas les meilleurs. Mais quand on représente moins de 1% de la population mondiale, il faut garder le sens de la mesure : logiquement, 99% des bonnes idées viennent d’ailleurs.
Enfin, la France reste un pays riche et privilégié : avec moins de 1% de la population, son PIB représente plus de 3% du PIB mondial.
Voilà pour ne pas aller trop loin dans la déploration.
Donc, mon propos n’est pas de déplorer, mais d’analyser.

Cette péripétie met en évidence des points durs qui ne sont propres ni à cette entreprise, ni au secteur de la pharmacie

Pour ce qui est d’analyser, le Conseil d’Analyse Economique a rédigé une note de synthèse assez suggestive quant au fonctionnement de l’innovation dans le secteur de la pharmacie. Je dois préciser que j’ignore à peu près tout de ce domaine de recherche. Je vais donc, dans un premier temps, ne faire que restituer les remarques qui m’ont le plus frappé, dans ce rapport.

D’abord, il y a quelques constats assez massifs : depuis 10 ans, les fonds publics pour la Recherche et Développement, dans le domaine de la santé, ont diminué de 28 % en France, pendant qu’ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de de 16 % au Royaume-Uni (pays pourtant peu connu pour son soutien public à la recherche). C’est le genre de choix stratégique qui ne produit pas d’effet à court terme, mais qui, inévitablement, finit par provoquer des conséquences à moyen terme. Incidemment, le rapport rappelle que les chercheurs français sont mal payés en début de carrière (un tiers de moins que la moyenne des pays de l’OCDE). Alors que la mobilité internationale est bien plus facile aujourd’hui qu’hier, pour les jeunes chercheurs, c’est là aussi une pratique qui finit par avoir des conséquences.

Mais le rapport pointe une faille plus subtile qui n’a pas seulement trait aux volumes de financement. En fait, l’innovation en pharmacie se situe de plus en plus à la frontière de grandes entreprises et de petites start-ups. Chacune a un savoir-faire différent. Pour donner un exemple : BioNTech est une entreprise créée en 2008, qui emploie un millier de salariés (avec cette taille, c’est, d’ailleurs, déjà, plus une fédération de start-ups, qu’une start-up isolée), tandis que Pfizer est une entreprise créée en 1849 et qui emploie 80.000 personnes. Ce type d’alliance provient du fait que la recherche développement est, d’un côté, de plus en plus chère avant de parvenir à un produit commercialisable, elle est donc de plus en plus risquée ; mais, d’un autre côté, les idées de rupture font de plus en plus la différence. Les start-up sont donc des mines à idée, à condition qu’elles bénéficient d’un financement adapté pour couvrir les risques qu’elles courent. Séparer la logique financière des grandes entreprises et celle des start-ups est donc un moyen d’incorporer les nouvelles contraintes de la recherche-développement.

Alors, où est la faille dont je parle ? La France n’est pas dépourvue d’incubateurs pour soutenir le lancement de nouvelles start-ups médicales. Là où notre pays est défaillant c’est sur la suite de la phase d’incubation : entre les premiers pas de l’exploration autour d’une idée et son industrialisation. Je cite un passage du rapport :
« Une difficulté dans la phase de R&D des start‐ups réside dans le financement. Si celles‐ci font appel au capital risque pour financer leur développement, elles ne font généralement pas de profit et leur survie dépend de la rapidité avec laquelle elles vont pouvoir se développer. Sachant que l’activité de recherche nécessite des financements importants sur une longue période (entre cinq et dix ans), garantir des financements pérennes sur une telle durée n’est pas toujours aisé. Le financement public de la phase d’amorçage en France est très important et efficace, qu’il vienne de l’État, des collectivités locales ou de la Banque publique d’investissement (Bpifrance). […] En revanche, les financements sont chroniquement insuffisants sur la durée de vie des start‐ups et rendent la croissance des entreprises difficiles ».

Si on parle d’investissement de long terme, on découvre, en effet, que des fonds nationaux bien organisés structurent le capital des start-ups médicales aux Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas en France, comme le montre le graphique ci-dessous :

C’est, on le voit, dans la phase du long développement d’une idée jusqu’à son éventuelle commercialisation que la France est défaillante.

Tous ces commentaires peuvent paraître passablement techniques, mais il me semble qu’ils désignent bien une difficulté de positionnement de la recherche et des chercheurs, en France, et pas seulement dans le domaine médical.

La caricature du chercheur, professeur Tournesol ou professeur Nimbus, a la vie dure

J’ai eu longuement l’occasion d’observer que les entreprises françaises se méfient des chercheurs (qui, souvent, le leur rendent bien !). Même dans les entreprises privées, il y a un clivage entre les chercheurs et les gestionnaires. Dans les domaines qui sont concernés par les grandes écoles d’ingénieur (ce qui n’est pas le cas de la médecine), cela rejoint le clivage universités / grandes écoles. On peut tourner autour de la question de plusieurs côtés, cela converge vers un constat d’ensemble : on compte éventuellement sur un chercheur pour avoir une idée venue d’ailleurs, mais la caricature qui fait du chercheur une personne distraite et peu au fait des contingences matérielles a la vie dure. A l’inverse, des personnes formées au management et à la gestion d’un processus standard sont mal outillées pour développer une idée encore inaboutie ou, tout du moins, elles le croient. J’avais eu l’occasion d’enquêter auprès d’incubateurs divers, à une époque, et ils m’avaient tous souligné le caractère critique de cette phase intermédiaire.

En Allemagne, par contraste, le doctorat est considéré comme une formation de base standard. Un grand nombre de cadres dirigeants ont un doctorat. En Suisse, autre exemple, les universités technologiques comme les Ecoles Polytechniques Fédérales de Lausanne ou de Zurich sont à la fois à la pointe de la recherche et du dépôt de brevets. Il y a une transition fluide entre recherche fondamentale, développement de start-ups, accompagnement sur le long terme et partenariats avec des entreprises. Cela renvoie à des populations variées qui communiquent entre elles. A l’inverse, le clivage français devient problématique, précisément dans cette zone intermédiaire qui est autre chose que l’émergence d’une idée, mais qui n’est pas encore quelque chose de tout à fait opérationnel. C’est là qu’il y a un espace social peu légitime, car il concerne, potentiellement, des personnes aux compétences mal identifiées qui peuvent mobiliser leur imagination pour peaufiner une idée, voir comment la faire évoluer en fonction des contraintes et des attentes. C’est assurément un défi tout à fait motivant, mais que peu d’institutions publiques ou privées, en France, sont prêtes à soutenir. En tout cas, pour avoir siégé au conseil scientifique d’une structure de ce type, je peux témoigner que, de tous côtés, ces structures engendrent le soupçon et peinent à trouver leur place.

Un clivage social finit toujours par engendrer des tensions et des limites collectives

Sortons du cas particulier de la recherche, pour dire qu’un clivage social finit toujours par émerger au grand jour. On le voit souvent, ces dernières années, au travers d’événements assez brutaux comme le mouvement des gilets jaunes et les tentatives pour le réprimer. On le voit, également, au travers des dialogues de sourds qui se croisent, sans jamais se rencontrer, sur les réseaux sociaux. Le clivage entre conception et exécution, autre exemple, est un classique de la sociologie du travail et on peut dire qu’il résume l’essentiel des conflits du travail.

Cela dit, on est plus habitué à observer des clivages qui ont trait à une forme de hiérarchie : les coupures entre ceux qui occupent le « haut » de l’espace social et ceux qui sont cantonnés en « bas ». Mais il existe également des coupures entre des formes de compétences différentes. Pour avoir tenté de pratiquer des dialogues, disons transfrontaliers, pendant une partie de ma carrière, je peux témoigner du fait que, pour un opérationnel, un chercheur se pose toujours trop de questions, et, qu’à l’inverse, pour un chercheur, un opérationnel ne s’en pose jamais assez. Mais il ne s’agit pas simplement d’une opposition entre des psychologies différentes. Cela correspond également à des institutions, des formes de financement, des valorisations économiques différentes. Il y a, sans doute, des raisons historiques au fait que ce type de coupure soit spécialement marqué en France : les différentes structures ont, pendant longtemps, dans notre pays, pu vivre leur vie indépendamment les unes des autres. C’est devenu plus problématique aujourd’hui. Bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle ? Personnellement, je considère toujours comme une bonne nouvelle que des groupes sociaux séparés les uns des autres soient soudain obligés de coopérer.

Communiquer les uns avec les autres n’est pas seulement un acte optionnel de bienveillance, cela devient quelque fois une nécessité. En tout cas, si on va trop loin dans l’ignorance mutuelle, les tensions et les difficultés finissent par revenir vers nous comme un boomerang. Le rapport du Conseil d’Analyse Economique en donne un exemple, certes pointu et technique, mais qui fait réfléchir.

4 commentaires sur “Une nouvelle occasion de s’interroger sur l’usage de la recherche en France : les mésaventures de Sanofi

  1. Cher Frederic, je suis ton petit neveu éloigné, Florent Gros, fils d’Élisabeth Brandt, mon parcours a été ingénieur, biologiste, conseil en brevet, juriste, MBA en finance, investisseur en capital risque, entrepreneur dans les biotech, et accessoirement pasteur d’une assemblé protestante-évangélique pendant quelques années. J’ai été responsable de la propriété intellectuelle chez Pasteur Mérieux en 1998, travaillé ensuite 20 ans chez Novartis sur Bâle. J’ai ainsi eu la chance de créer et financer des sociétés biotechs dans les vaccins. Quelques remarques dans ton texte.

    … Le premier commentaire qui s’impose, est qu’il faut quand même ramener cela à de justes proportions…

    COMMENTAIRE:
    Oui, c’est vrai, la faute à pas de chance. Mais je n’excuse pas. Sanofi ont lancé une vielle technologie, l’aversion aux innovations est bien connue dans le domaine des leaders commerciaux des vaccins. Les innovations viennent en fait des biotech. Comme Biontech, Moderna. J’ai créé la biotech Altimmune aux Etats Unis qui développe aussi un vaccin covid basé sur les adénovirus (comme pour AZ/Oxford) mais se focalisant sur l’immunité mucosale des voies aériennes, potentiellement bien plus efficace que le vaccin d’AZ/Oxford. Je connais d’autres plateformes vaccinales, par exemple de l’université de Leuven en Belgique qui a un potentiel énorme de mettre plusieurs variants covid, dans le même virus vaccinal. Le gouvernement belge d’ailleurs peine à le financer, ils veulent à un vaccin tout de suite, pas en 2022…

    Les challenges sont toujours les mêmes. En principal la vision court-terme des acteurs commerciaux et des gouvernements. Chez Sanofi, Paul Hudson le pdg vient du monde de Novartis, très commercial, qui ont arrêté/vendu à GSK les activités vaccins de Novartis pour manque de profitabilité. Le covid n’aura pas suffi à les décider de prendre les bons risque technologiques chez Sanofi. Ils ont juste avancé une vielle technologie interne. La prise de risque technologique n’est pas la culture du leadership chez Sanof, généralement dans les groupes privés ou publiques. Pour GSK, un autre leader, la pdg vient de chez l’Oreal, qui n’a aucun intérêt pour la technologie, ils prônent d’ailleurs la commercialisation d’un adjuvant pour améliorer la réponse immunitaire, mais qu’elle hypocrisie ! Les experts savent déjà que l’adjuvant de GSK est juste bon pour une réponse anticorps, mais pas du tout pout une réponse cellulaire, qui est cependant indispensable pour stimuler le combat du corps humain contre les virus. De la poudre aux yeux, pour se dédouaner? C’est à peine croyable, alors que Sanofi et GSK ont aussi des plateformes ARN, ils n’ont pas eu le courage d’investir à risque. C’est toute la culture interne des grands groupes de la prise de risque qu’il faut revoir.

    Les biotech prennent actuellement le relais de la prise de risque. D’ailleurs la France a une forte concentration de biotech dans les vaccins. Le problème est qu’il faut une sortie financière dans les 7-10 ans pour les investisseurs en capital risque. Les leaders commerciaux comme Sanofi, GSK etc. n’achetant pas ces biotechs, ou les achetant a des stades très (trop) avancées de développement clinique, les investisseurs en capital risque ont perdu leur argent, ont dû ainsi se retirer. Les financements de ces biotech sur Euronext n’ont pas été suffisant pour assurer une rentabilté. Beaucoup de ces biotechs en vaccins se sont reconvertis ou simplement focalisé dès le début, en vaccins contre le cancer, qui assure une meilleure visibilité financière. C’est le cas de Biontech qui est d’abord une plateforme vaccinale contre le cancer Aux États Unis, les investissement dans les sociétés publiques (Nasdaq) est culturelle, 100x plus abondante, les biotechs survivent ainsi plus longtemps.

    L’équipe Macron l’a compris en mettant en place la commission tibi en 2020, mettant a disposition des milliards pour les fonds d’investissements qui investiraient en fin de cycle d’une biotech. Belle initiative, mais vite étouffée par les lobbys pour se faire attribuer les fonds, et surtout par la crise sanitaire. Je les vu de l’intérieur, avec des collègues nous levons un fond d’investissement franco-allemand, EarlyBird.

    Un autre example, Moderna est aussi une platforme vaccinale contre le cancer qui s’est reconverti rapidement pour la covid, levant des sommes faramineuses sur le marché publique américain. C’est l’écosystème financier américain qui a permis le déploiement rapide des meilleurs technologies /vaccins ARN . L’Europe est à la traine, les marchés publiques sont fragmentés, trop petits, nationalistes.

    On s’est beaucoup moqué de Pfizer, trop gros, pas agile, conservateur, mais sur le coup de la covid19, ils se sont alliés avec Biontech en Allemagne et ont développé une chaine logistique qui est incroyable, impensable, a -80C -on peut être gros mais prendre des risques bien calculés. Je ne peux que féliciter Pfizer. Il y a d’autres acteurs biotechs qui développent des vaccins covid, j’ai mentionné Altimmune, mais il y en a une dizaine d’autres, qui pourraient s’allier maintenant avec un gros laboratoire. Alors pourquoi GSK, Sanofi et d’autres continuent à être frileux ? C’est à peine croyable, déplorable même.
    FIN DU COMMENTAIRE

    ….C’est, on le voit, dans la phase du long développement d’une idée jusqu’à son éventuelle commercialisation que la France est défaillante…..

    COMMENTAIRE: Oui, manque de financement à des stades avancées, manque de vision stratégique de nos gouvernants, même européens, qui préfèrent le saupoudrage égalitaire (le crédit impot recherche) plutôt que de cibler des besoins, ne financer que les meilleurs, et ne financer que la partie la plus chère = la phase d’enregistrement, que les fonds en capital risque ne peuvent PAS payer
    FIN DU COMMENTAIRE

    ….La caricature du chercheur, professeur Tournesol ou professeur Nimbus,….

    COMMENTAIRE La caricature n’est plus vraiment d’actualisé, les biotechs françaises sont très actives et conjuguent, prise de risque technologique, exécution, avec des financeurs aguerris. C’est la traduction de l’innovation vers des applications commerciale dans les grand groupe privé ETpublique qui sont en retard.
    FIN DU COMMENTAIRE

    ….En Allemagne, par contraste, le doctorat est considéré comme une formation de base standard. …

    COMMENTAIRE
    C’est vrai, en tant que Français et Suisse, je vois la différence de statut. Principalement les doctorants sont reconnus en Allemagne et Suisse, mais la France a un très bon réseau de doctorants, des cabinets de brevet tout aussi efficace que les allemands, et supérieurs aux Suisse. D’ailleurs les sociétés suisse que j’ai financé, ont souvent utilisé des cabinet de brevet francais.
    FIN DU COMMENTAIRE

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