La mise en cause d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, la semaine dernière, est tout à fait significative des difficultés sur lesquelles butent les politiques environnementales ces dernières années. Rappelons brièvement l’affaire. Un site d’enquête a révélé que le père et les enfants d’Agnès Pannier-Runacher avaient des intérêts dans une importante entreprise pétrolière. Je passe sur la discussion juridique qui s’en est suivie : stricto sensu, la ministre n’était pas tenue de signaler ces intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, vu que cela ne la concernait pas elle en tant que personne. La HATVP s’est quand même saisie du dossier en mentionnant que la limite légale n’excluait pas la prise en compte d’intérêts proches.
Il est quand même inquiétant d’apprendre que la famille de la ministre de la transition énergétique a des intérêts dans le pétrole. Mais le pire est qu’elle n’est sans doute pas la seule, dans les hautes sphères de l’état, à posséder des placements dans les énergies fossiles. Les masses financières générées par les entreprises pétrolières sont telles que quiconque a des placements financiers diversifiés, a toute les chance d’avoir des titre de l’une au moins de ces entreprises dans son portefeuille.
A vrai dire, le fonctionnement économique et social des sociétés industrielles a été tellement structuré autour de la production d’énergies fossiles, depuis plus d’un siècle, qu’il est extrêmement difficile de détricoter les multiples dépendances croisées qui se sont construites au fil des ans.
Et tout cela explique que les politiques publiques, en matière de transition énergétique, sont d’une prudence exagérée et d’une lenteur qui crée le danger. C’est tout le milieu des décideurs qui craint pour ses intérêts ou dont les proches craignent pour leurs intérêts et qui veulent se donner le temps de faire évoluer leurs placements … étant entendu que, pour le moment, le pétrole reste une bonne affaire !
Le fonctionnement en réseau des catégories sociales dominantes, crée de l’aveuglement et de l’impuissance politique
Le milieu politique fonctionne beaucoup à partir de relations, de carnets d’adresse, de réseaux informels construits au fil des ans, d’amis d’amis, etc. A vrai dire, il est indispensable pour toute personne exerçant des responsabilités, de pouvoir s’appuyer sur des relations qui lui faciliteront la tâche, qui le renseigneront, ou qui feront l’intermédiaire dans des situations délicates. Je n’ai pas fait différemment quand j’ai exercé, moi-même, des responsabilités, même s’il elles étaient d’un niveau tout à fait modeste.
Les choses se compliquent lorsque ces divers réseaux appartiennent tous au même milieu, partagent les mêmes préjugés, ou relèvent d’intérêts apparentés les uns aux autres. Ils vont, alors tout faire, pour limiter la portée de politiques qui remettront en cause leur fonctionnement habituel.
Et alors, seules des personnes extérieures à ces cercles peuvent se rendre compte de la paralysie de réseaux qui se contrôlent les uns les autres.
Aujourd’hui, où des changements d’orientation économiques, politiques et sociaux radicaux sont nécessaires, la solidité de ces réseaux d’interconnaissance est clairement une nuisance pour tout le reste de la société.
« Les sages et les intelligents »
Les évangiles autant que les épîtres ont souligné, en leur temps, le fossé qui existait entre « les sages et les intelligents » et les autres couches sociales. La critique récurrente qu’ils leur ont adressée est que cette « sagesse » et cette « intelligence » supposées, s’évaporaient du fait de la fermeture de ces élites à tout ce qui pouvait menacer leur pouvoir.
De fait, on peut s’interroger, aujourd’hui, sur « l’intelligence » des politiques énergétiques. Certes elles évoluent, certes elles entament des transitions. Mais elle seraient certainement plus intelligentes, plus efficaces et plus pertinentes, si elles n’étaient pas entravées par les amitiés, les familiarités et les renvois d’ascenseur d’un milieu social qui, depuis des décennies, a eu le regard rivé sur les actifs pétroliers.
Merci Frédéric pour cette réflexion tout à fait pertinente, comme d’hab ! OK pour ce qui est des énergies fossiles, mais que penser quand, certains nous disent que la voiture électrique est tout aussi polluante, sinon plus, en fin de compte ? Même si ton propos ne portait pas vraiment sur thème. Bien amicalement, Jean Paul
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Il est évident que la première mesure, la plus efficace, est de moins se servir de son véhicule. Par exemple : du fait que nous avons déménagé pour habiter tout près d’un centre-ville, notre kilométrage annuel est tombé de 20.000 km par an à 10.000 km par an. Ensuite la voiture électrique est un pis aller et il ne faut pas faire n’importe quoi avec elle. Les analyses de l’ADEME montrent
https://presse.ademe.fr/2022/10/mondial-de-lautomobile-lademe-publie-son-avis-sur-le-vehicule-electrique-une-batterie-de-taille-raisonnable-assure-une-pertinence-climatique-et-economique.html
que c’est intéressant si on utilise de petits véhicules (au bout de 15.000 km d’usage on a rattrapé l’empreinte carbone liée à la production de la batterie, sachant que toute production de véhicule, même thermique a une empreinte carbone significative), mais que si on va vers un parc de SUV électriques l’avantage est nul.
Il faudra donc imaginer un autre usage de la voiture : des petits véhicules pour le quotidien et louer des véhicules pour de longs trajets, si on ne peut pas les faire en train, ou louer un véhicule à l’arrivée du train.
Mais l’avis à l’emporte pièce qui dit que la voiture électrique est tout aussi polluante, sinon plus, est un argument commode pour ne pas se remettre en question.
Tout est affaire de degré et si on divise une empreinte carbone par deux c’est important, même si on n’arrive pas à zéro.
Mais, de toute manière, il faudra moins utiliser des voitures individuelles. Il faudra … parce qu’on n’aura pas le choix, pas parce que ça fait joli, ou que ça fait plaisir. C’est juste une obligation, même si elle nous complique la vie.
Merci pour ton message,
ça fait plaisir d’avoir un petit signe de ta part.
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Merci Frédéric pour cette réponse simple mais réaliste. Oui, plutôt que de « chercher midi à 14 heures » ce genre de réflexion à la portée de chacun est certainement à encourager.
Bien fraternellement, Jean Paul
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Entièrement d’accord avec ton analyse. Nous avons réagi dans le même sens indépendamment. Voir https://lapenseeecologique.com/speculer-sur-la-fin-du-petrole-madame-pannier-runacher-et-les-logiques-de-linaction/
Le point technique sur lequel j’insiste est qu’il est très difficile de spéculer sur les ressources en fin de vie. On sait (notamment depuis Auguste Walras, le père de Léon) que la rareté fait monter les prix, mais dans la logique des marchés financiers il y a aussi la volatilité qui augmente. De sorte que les marchés ne donnent pas un signal-prix suffisamment précis pour que les petits entrepreneurs, agriculteurs etc., puissent investir entre leurs plantations, leur cheptel, leurs installations.
Et c’est là qu’on voit que le milieu d’affaire proche de la ministre est vraiment un milieu d’experts : son père était un des responsables d’une grande firme pétrolière spécialisée dans le rachat des gisements en fin de vie pour lesquels les techniques standard ne sont plus efficaces. Lorsque les marchés sont envahis de volatilité, il faut être en possession de choses concrètes et non de produits financiers à termes qui ne sont plus pertinents.
Du point de vue éthique qui nous intéresse, le choix de ce type de compétence en dit long sur la stratégie écologique du gouvernement Borne.
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